Nouvelle

 

" Appelle-moi Jo "

 

Préface:

" Mémoire/ Mémoires "… cet intitulé nous a intrigué, peut-être même plus qu'il ne nous a inspiré.
En effet, pourquoi un des deux termes était-il au pluriel ? C'est ce que nous avons essayé de comprendre avant de commencer la rédaction de notre nouvelle, et nous en sommes arrivés à la conclusion que les mémoires individuelles constituent en fait une seule et unique mémoire collective. Quoi de plus naturel que de prendre pour exemple, afin de le démontrer, un événement historique dont des milliers de personnes se souviennent, soit parce qu'ils y ont participé, soit parce qu'il a changé leur vie.
La réponse paraît évidente : Mai 1968, une révolte estudiantine qui a marqué toute une génération, et qui s'est finalement transformé en conflit national.
Notre héroïne, Louise, va se remémorer sa jeunesse et raconter à sa fille comment sa vie a changé à cause d'une rencontre… mais aussi à cause d'un fait historique qui a concerné la France tout comme l'Angleterre, pays où la révolution a trouvé ses sources dans la musique.
Ainsi, notre histoire est un flash back, retraçant les grandes étapes d'une révolution culturelle.
Presque tous les bouleversements qui interviennent dans la vie de Louise sont inspirés de faits réels. Nous avons donc fait de Louise, un porte-parole de la génération 68, et de notre nouvelle, un puzzle des mémoires.

 

***

 

S'asseyant à la table du petit déjeuner la mèche en bataille et l'œil hagard, Joséphine Potter émit un borborygme à peine audible que sa mère, en traductrice exercée, n'eut aucun mal à interpréter comme l'habituel :"What's the date today?"
Comme de coutume, elle soupira :
-Joséphine, je t'ai déjà demandé je ne sais combien de fois de me parler français, réserve l'anglais à ton père, surtout en début de journée!
-Peu importe, dans ta langue maternelle, le problème reste le même...On est le combien?
-Ne sois pas cynique de bon matin! On est le 6...le 6 mai 1998...
-Pour l'année je suis au courant! Ne prends pas cet air pathétique, maman.
Après un instant d'hésitation, Louise plongea son regard dans celui de sa fille :
-Chacun, lorsqu'il cherche à faire le bilan d'une année qui vient de s'écouler, en retient d'abord ce qui l'a touché de plus près. Pour moi, le 6 mai 1968 marqua le commencement d'une nouvelle vie...


6 mai 1968

Louise composa instinctivement le numéro de Marie-Charlotte. Par chance, sa meilleure amie décrocha :
-Allô?
-Allô Marie, faut que je te parle!
-Je m'attends au pire...
-Tu fais quoi cet après-midi?
-Je pense que tout dépend de ta proposition.
-Ecoute ça: "C'est cette après-midi au Quartier Latin que les étudiants parisiens amorceront leur marche vers la liberté et l'abolition des tabous qui ont gâché la jeunesse des générations passées, mais qu'ils considèrent aujourd'hui comme dénués de sens. Si toi aussi tu en as marre d'être un enfant modèle, sois réaliste et viens avec nous demander l'impossible."
-Non.
-Quoi non?
-Louise de Montignac, il est hors de question que l'on participe à ce genre de mascarade!
-Je t'en prie, Marie, ouvre-toi un peu sur le monde, sors de ta coquille! Pourquoi te contentes-tu de suivre les idées de ton père? Exprime les tiennes! N'as tu pas besoin de te sentir libre?
-Pour toi se sentir libre, c'est se retrouver à l'hôpital parce que tu as reçu un pavé en plein visage?
-Ce que tu es pessimiste! C'est une façon comme une autre de s'exprimer.
-Chacun ses idées!
-Allez Marie, il y aura sûrement des gars mignons...
-Mieux vaut être seule que mal accompagnée!
-Très bien. Avec ou sans toi j'irai. Je veux bouger, grandir, avancer. Dommage que ce soit sans toi!

Louise raccrocha bouleversée. Depuis leur plus tendre enfance, Marie-Charlotte et elle avaient tout partagé, peut-être que, cette fois-ci, elle allait trop loin... Elle soupira tristement.
La ramenant à la réalité, sa mère appela tout le monde à table. Louise aurait tant voulu partager ses pensées avec sa famille, crier, hurler ses opinions et être
approuvée par les siens.

Plusieurs fois au cours du déjeuner elle essaya de se confier à eux, mais n'y parvint pas. Son père critiquait ouvertement "ces grèves qui embêtent tout le monde et cette génération n'ayant connu ni la guerre, ni la misère, et ne sachant même pas pourquoi elle est là". Sa mère, elle, restait muette, mais qui ne dit mot consent...
Le repas terminé, une fois son mari et ses fils partis, Madeleine, en mère de famille dévouée, accompagna Victoria au catéchisme. Se retrouvant dans l'appartement maintenant désert, Louise n'hésita plus.
Elle traversa son seizième arrondissement natal et atterrit au Quartier Latin où elle se noya dans la foule.
Perdue, déroutée, il lui semblait qu'elle flottait, emportée par une masse qu'elle ne contrôlait pas. Elle eut l'impression qu'elle pénétrait dans un univers étranger au sien où tous ses repères étaient invertis. Les visages, flous et lointains, ne reflétaient que la distance qui la séparait de ces gens si différents. Poussée et tiraillée de toutes parts, elle perçut au milieu du bourdonnement de la foule une voix moqueuse s'adressant à elle:
-Tu t'es perdue?
Elle se retourna, stupéfaite. Non, elle avait dû rêver. Pourtant, une jeune fille lui souriait. Rejetant ses boucles brunes en arrière, elle ajouta avec un air malicieux:
-Et elle est sourde en plus!
Voyant le désarroi de Louise, elle dit :
-Moi c'est Joséphine, mais appelle moi Jo! Et toi, c'est quoi ton petit nom?
-Louise.
-Ah! Je vois. Avec nous ce sera Lou.
-Avec nous?
-Oui, nous. Viens, je vais te présenter la bande.
Jo entraîna Lou par la main sans se soucier des gens qu'elle heurtait sur son passage. Louise gênée, ne cessait de répéter :
-Pardon, désolée... Euh...Excusez-moi...
Au bout de quelques mètres, elles s'arrêtèrent et Jo tapa sur l'épaule d'un garçon aux cheveux étranges. Louise apprit plus tard qu'il s'agissait de "dreadlocks".
-Ben t'es là Arnold! Je vous cherche depuis des heures!
-Fallait pas nous laisser, protesta celui-ci, avant d'ajouter perplexe, c'est quoi ce que tu nous ramène?
Une jeune fille aux cheveux roux en bataille persifla :
-Une N.A.P, elle nous ramène une N.A.P!

Un drôle de jeune homme à l'accent anglais, Willy, lança en pointant Louise du doigt :
-Cache-toi objet!
Le groupe ricana. Louise, vexée, se sentit rougir et chercha à fuir. Jo la rattrapa par le bras.
-T'énerve pas Lou!dit-elle gentiment. Ce n'est qu'un slogan.
Voyant que Louise restait muette, elle expliqua :
-Et N.A.P, c'est une fille qui habite les quartiers chics de Paris : Neuilly, Auteil, Passy.
Lui lançant un regard noir, Louise suggéra d'un ton plein de sous-entendu :
-Une fille comme moi, n'est-ce pas? Je croyais que nous étions là pour combattre les préjugés. Mais je crois que je me suis trompée.
-Ah! Elle marque un point!
Willy intervint :
-Tu sais, ton histoire de préjugés, je connais. J'ai déjà vécu tout ça il y a deux ans en Angleterre.
-Qu'est-ce que tu fais là alors?
-Ouh! Deux points! Elle prend de l'avance la p'tite N.A.P!
Jo s'interposa :
-Temps mort! Les présentations d'abord. Tout le monde, je vous présente Lou, Lou voici tout le monde! Tu connais déjà Willy, le p'tit British, et voici Arnold, son correspondant. Marlène, c'est le petit morceau de chevelure rousse que tu vois dépasser des bras du grand dadais, Jean-Paul.
Voilà, Louise était des leurs. Tous les six se noyèrent dans la foule, et Lou se sentit enfin libre. Haletante, de toute son âme, elle hurlait les slogans avec les autres étudiants ne faisant plus qu'une seule voix, unis pour la même cause.


6 mai 1998

Joséphine regardait sa mère avec admiration ; curieuse, elle lui demanda :
-Et après ?…
Louise répondit avec un petit air malicieux qu'elle ne lui connaissait pas.
-Que veux-tu savoir ?
-Tout, je veux tout savoir ! Qu'est devenue Marie-Charlotte ? Es-tu restée amie avec Jo et les autres ? Et tes parents…ont-ils su ce que tu faisait derrière leur dos ?
-Tu poses beaucoup trop de questions ma chérie, écoute plutôt…


6 mai 1968

Ce soir là, lorsque Louise rentra chez elle, elle retrouva ses parents indignés parlant de la manifestation sans se douter que leur fille y avait participé.
-Bonsoir ! hasarda Louise.
-Où étais-tu ?
-Chez Marie-Charlotte, mentit-elle avec aplomb.
- Tu aurais pu nous prévenir, on s'est fait un sang d'encre ta mère et moi… Tu ne sais donc pas qu'il y a eu une manifestation cet après-midi ; toute la ville était bloquée et il aurait pu t'arriver n'importe quoi avec tous ces hippies qui se multiplient !
-Papa, il n'y a pas uniquement des hippies à ces manifestations ; les jeunes " normaux " ont aussi le droit de se révolter…
-Peu importe, ils sont trop nombreux !
-Plus ils seront nombreux, mieux on les entendra ! Et puis, s'ils se multiplient, c'est bien que leurs idées plaisent, non ?
-Il faut aussi voir à qui elles plaisent ! De toute façon, la naïveté te rend aveugle, ma fille ; tu vois toujours le monde à travers des yeux d'enfant, mais ils sont dangereux et anarchistes, ils ne respectent plus aucune règle. Si j'apprends un jour que tu as eu des liens avec ce genre d'individus, tu t'en souviendras, crois-moi !
Madeleine, qui n'avait pas encore parlé, pris la parole :
-Je comprends que ces étudiants puissent être révoltés ; leurs conditions de travail ne sont pas les meilleurs. Mais comment veulent-ils passer leurs examens en bloquant les universités ? Ils gâchent leurs chances de réussite et ne le savent même pas. Car, de toute façon, ils n'amélioreront rien en agissant de la sorte…
Son mari lui coupa la parole :
-Toi, tais-toi, tu n'y connais rien !
Il sortit de la cuisine en ajoutant :
-N'oublie pas, Louise, n'oublie pas ce que je t'ai dit ; je ne plaisantais pas.
C'est ainsi que la jeune fille se retrouva seule avec sa mère. Elle l'observa… Madeleine pleurait en silence : une fois de plus, son mari l'avait blessée et rabaissée sans même s'en rendre compte. A cette vue, Louise éprouva un élan de pitié qui la fit pleurer elle-même ; elle prit la main de sa mère. Non, elle n'oublierait jamais ce spectacle qui la marqua profondément. Elle espérait de tout son être ne pas devenir une femme soumise ne vivant que par et pour sa famille.
Elle murmura :
-Libère-toi maman, tu es d'abord une femme !
Sa décision était maintenant prise : elle participerait à la manifestation du onze mai.


11 mai 1968

Louise montait les marches quatre à quatre ; essoufflée, elle s'arrêta enfin devant la porte de son amie. Pourquoi Jo lui avait-elle demandé de passer chez elle avant de rejoindre les autres ? Elle sonna ; quelques secondes plus tard, Jo ouvrit en sautillant, visiblement ravie. Elle lui prit la main et l'entraînant au fond d'un couloir sombre dont le sol était jonché de nombreux cartons et d'objets en tous genres que Louise dut enjamber à son grand étonnement.
Apparemment, le chaos régnait dans cet appartement.
-Ne fais pas attention Lou, on va bientôt déménager.
-Loin ? s'inquiéta celle-ci.
-Oh non, juste un étage plus haut.
Enfin Jo la poussa dans une petite pièce qui semblait être sa chambre, étant donné le nombre de posters des " Beatles " accrochés au mur. Jo, espiègle, l'observait plaquée contre la porte :
-A nous deux maintenant…
Environ une heure plus tard, la petite porte s'ouvrit doucement et Louise, ou plutôt Lou, se trouva nez à nez avec un miroir. Les mains sur les yeux, elle refusait de voir ce qu'elle était devenue, mais délicatement, Jo retira ses mains et dit :
-Tu voulais du changement, en voilà !
Enfin, Louise se décida à ouvrir les yeux et s'observa comme s'il s'agissait d'une étrangère : une toute autre fille se trouvait devant elle, une fille aux nattes défaites, un bandeau dans ses cheveux ondulés qui tombaient en cascade sur ses épaules recouvertes d'une fine tunique jaune lui arrivant aux genoux. Elle s'attarda sur son pantalon en lin, patte d'eph évidemment. Elle sourit en voyant ses pieds, en effet, elle était chaussée de sabots. Jo ajusta son bandeau avant d'ajouter :
-Tu es nettement mieux comme ça !
Mais Lou paniqua :
-Mon père va ma tuer, c'est sûr !
-Pour les oreilles percées ?
-Oui aussi, disons que …. Il n'aime pas du tout les créoles ! Je l'entends déjà : C'est d'un vulgaire !
Leurs regards se croisèrent et elles ne purent retenir un fou rire… Elles claquèrent la porte et s'engagèrent bras dessus, bras dessous sur le chemin de la liberté.


Elle n'aurait su dire pourquoi, mais son cœur battait de plus en plus fort à mesure qu'elles se rapprochaient du Café des Lilas où tout le groupe les attendait. Elle s'en voulait de vouloir plaire à Willy, elle chassa vite cette idée de son esprit : non, non, non, elle ne l'appréciait pas. Pourtant, son cœur s'emballa contre sa volonté lorsqu'elle le vit au fond du café riant et jouant de la guitare.
-Je ne savais pas qu'il était musicien.
-Si, il joue de la gratte depuis qu'il est môme.
Elles s'assirent et Lou enragea de constater que Marlène chuchotait à l'oreille de Willy. Lorsqu'elle eut terminé, ils pouffèrent en se regardant. Lou décida d'engager la conversation :
-Tu sais qu' tu joues bien ?
La dévisageant, il lui répondit :
-Tu sais qu' tu es jolie ?
Baissant timidement les yeux, elle balbutia :
-Merci.
Donnant un coup de coude à Willy, Marlène demanda :
-Et moi ?
Jean-Paul, se sentant délaissé par sa petite amie, chercha à attirer son attention :
-Moi, je te trouve très mignonne.
-C'est pas à toi que je parle ! C'est à lui.
Willy se retourna et répondit :
-Tu veux vraiment une réponse ? Chacun ses goûts.
Marlène vexée, observa Lou de haut en bas et rétorqua :
-Oui, en effet…
C'est à ce moment-là que Jo, excédée par les réflexions de Marlène, lui jeta un verre de grenadine au visage. Marlène, livide, se leva brusquement en renversant sa chaise, et sans se retourner, sortit précipitamment du café. La petite troupe éclata de rire et se rendit à la manifestation laissant volontairement Willy et Lou à la traîne. Ne sachant pas quoi dire, il essayait de meubler la conversation :
-Tout à l'heure, à la radio, ils ont dit que plus de ¾ des Anglais avaient suivi le conservateur Powell.
-Je sais, c'est horrible : trois anglais sur quatre sont racistes.
-Ah oui ? dit-il avec un air effaré.
-Pourquoi prends-tu cet air étonné, c'est ce que tu viens de me dire !
-Ah ! mais je savais pas moi, je disais ça comme ça…
Lou rit de bon cœur.
-C'est tout ce que tu trouves à me dire ?
-Non, il y aurait bien d'autres choses si je n'étais pas si timide.
Sans prendre en compte sa remarque, Lou hurla :
-Mon Dieu ! Mais que font-ils ?! Regarde-les, Will !
Pendant un instant, elle avait eu l'impression qu'ils étaient seuls au monde, mais en revenant sur terre, c'était l'apocalypse qu'elle découvrait. Autour d'eux, des centaines d'étudiants en furie se battaient avec des policiers tandis que d'autres incendiaient des voitures, jetaient des pavés ou escaladaient des barricades. Une jeune fille en mini-jupe attira l'attention de Lou, elle était sur les épaules d'un garçon et insultait les forces de l'ordre, les provoquait avec une assurance déconcertante. Lou s'inquiéta pour ses amis ; elle ne les imaginait pas se livrer à de tels actes si violents pour obtenir une soi-disant " liberté ". Certains policiers tentaient d'avancer. Peut être Jo, Arnold ou Jean-Paul étaient-ils blessés ? Comment le savoir ? Comment les distinguer au milieu de cette marée humaine ? La manifestation était devenue émeute, théâtre de la haine. Lou avait honte d'assister à ce spectacle désolant ; elle prit la main de Willy et lui demanda de partir. Après d'innombrables efforts pour s'extraire de cette masse terrifiante d'anonymes en colère, ils arrivèrent enfin Boulevard Victor Hugo. Willy essayait toujours de calmer Lou qui n'avait cessé de pleurer, l'écho de leurs voix résonnant encore dans sa tête. Willy la prit dans ses bras :
-C'est fini, tout va bien. dit-il tendrement. Oh, Louise, ma Louise, tu es trop sensible, trop fragile, tu n'es vraiment pas faite pour ça.
Bercée par le son de sa voix, la douceur de ses mots, elle lui murmura à l'oreille :
-Non, je suis faite pour toi.
Il l'embrassa, tout simplement.

 

 

 


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